Les oeuvres maçonniques

 

 

La philosophie maçonnique s'exprime à travers une multitude de symboles (équerre, compas, niveau, colonnes, triangle, chiffre 3, etc...) et de valeurs (humanisme, philanthropie, tolérance, fraternité, etc...). On retrouve ces symboles et ces valeurs dans certaines oeuvres musicales, littéraires et architecturales. L'oeuvre maçonnique la plus connue est sans doute « La flûte enchantée » du frère Mozart. L'opéra créé à Vienne en 1791 débute par un triple accord qui reprend la rythmique ternaire des batteries maçonniques (voir ce mot à la rubrique « lexique »). Le choeur final comporte le ternaire « force, sagesse, beauté » qui est utilisé au rite écossais ancien et accepté (le plus pratiqué au monde).

 

Mozart (au premier plan à droite) dans sa loge viennoise

L'histoire en elle même est une célébration de l'initiation maçonnique : Tamino, est un jeune prince étranger poursuivi par un serpent. Effrayé par le monstrueux reptile, le jeune homme s'évanouit. Trois femmes voilées viennent à son secours et tuent le serpent, elles sont les suivantes de la reine de la nuit. En reprenant connaissance, Tamino rencontre Papageno, un oiseleur et croit qu'il lui doit la vie. Les trois femmes aparaissent pour rétablir la vérité et montrent au jeune prince le portrait de Pamina qui est la fille de la reine de la nuit. Pamina a été enlevée par le grand-maître Sarastro. Les servantes de la reine exhortent Tamino à sauver la princesse et lui promettent sa main s'il réussit sa mission.

 

Tamino, suivi de Papageno partent à la rencontre de Sarastro, ils sont munis d'instruments magiques offerts par les servantes de la reine. Tamino possède une flûte enchantée et Papageno est doté d'un glockenspiel. De plus, les trois dames leur ont envoyé une escorte de trois garçons qui les aideront dans leur mission.

 

Papageno découvre la fille de la reine. Elle est poursuivie par Monostatos, un Maure qui la désire. Papageno arrive à faire fuir ce mauvais homme et fait connaissance avec la jeune fille. Il lui parle de Tamino qui au même moment se trouve devant les trois temples d'Isis. La symbolique du chiffre trois est très présente dans l'opéra, elle rappelle l'enseignement maçonnique au grade d'apprenti. Le jeune prince se rend tout d'abord au temple de la Nature mais il est repoussé. Tamino ne se déclare pas vaincu pour autant et se présente à la porte du temple de la Raison, le résultat est à nouveau négatif. Il ne reste plus qu'un temple, celui de la Sagesse. Un Orateur le reçoit et lui apprend que Sarastro est bien l'homme qui retient Pamina mais pour la préserver de la mauvaise influence qu'elle subissait. Tamino est intrigué et pour en savoir plus il demande à recevoir la « lumière ». En clair, il demande à être initié aux mystères d'Isis. L'allusion à la Maçonnerie est évidente.

 

Revenons à Papageno et Pamina. Ils sont rejoints par Monostatos mais arrivent à lui échapper grâce au pouvoir magique du glockenspiel. Ils arrivent alors en pleine réunion des prêtres de Sarastro. C'est à ce moment que Pamina rencontre Tamino, elle tombe littéralement dans ses bras. Les prêtres sont révulsés par la présence d'une femme dans leur temple. Il faut savoir que les femmes n'étaient pas autorisées à pénétrer dans les loges maçonniques au XVIIIè siècle. Sarastro annonce à Papageno et à Tamino qu'ils vont avoir l'honneur de subir les épreuves qui précèdent l'initiation. La symbolique maçonnique est à nouveau utilisée dans le livret de l'opéra puisque les deux jeunes hommes se retrouvent dans un cabinet de réflexion où ils doivent respecter le silence. On sait que l'apprenti maçon doit observer le silence en loge pour pouvoir découvrir les vertus de l'humilité et de la tempérance. Dans le cabinet Tamino et Papageno doivent résister aux avances des trois servantes de la reine. Tamino réussit l'épreuve tandis que son comparse échoue.

 

Pendant ce temps, Monostatos tente de violer Pamina endormie. Heureusement la mère de la jeune fille intervient pour empêcher ce crime. La reine affolée par ce qui vient de se produire encourage Pamina à tuer Sarastro. Pour se faire, elle lui donne un poignard. La haine de la reine est motivée par un désir de vengeance à l'égard du temple. En effet, son mari fut le précédent grand-maître et avant de mourir, il avait décidé de déshériter la reine. Sarastro possède le cercle solaire qui est le symbole de la puissance initiatique. La reine espérait obtenir ce cercle mais les femmes étant écartées du temple, elle n'a pu être satisfaite. La mère de Pamina quitte la scène et l'effroyable Monostatos en profite pour agresser de nouveau la jeune princesse. Cette fois, c'est le grand-maître Sarastro qui la sauve. Touché par la fragilité de la jeune fille, Sarastro explique à Pamina quels sont les fondements du temple, il lui révèle les principes de la fraternité et l'éthique des initiés.

 

Pendant ce temps, Tamino et Papageno sont toujours confinés au silence. Papageno échoue encore en parlant à une veille femme qui essaye de se faire passer pour Papagena, la femme qu'il espère rencontrer. La seconde épreuve est celle du jeûne. Là encore, Papageno ne se montre pas à la hauteur, il se jette sur un repas qui apparaît miraculeusement. La troisième épreuve est celle de l'air. Trois enfant descendent du ciel pour rendre aux deux impétrants leur instruments magiques. Tamino joue de la flûte ce qui a pour effet d'attirer Pamina. Malheureusement, le jeune prince n'a pas droit de lui parler s'il veut être initié. La fille de la reine n'étant pas au courant de cette règle se méprend sur les intentions de son compagnon et croit que leur amour est fini.

 

Les prêtres félicitent Tamino qui a presque terminé les voyages symboliques. Sarastro bande les yeux du prince et ceux de Pamina en leur déclarant qu'ils doivent encore subir deux épreuves qui sont les plus difficiles. A ce stade, Mozart a innové car s'il est vrai que l'impétrant est introduit dans le temple les yeux bandés avant l'initiation, il ne peut être reçu maçon avec une femme ! Dire qu'on a accusé Mozart de mysoginie à la suite de « Cosi fan tutte » (qui signifie « toutes les mêmes »). Il prouve son amour des femmes en célébrant une initiation maçonnique mixte avec cent cinquante ans d'avance ! En effet la première obédience maçonnique mixte n'apparaît qu'en 1893 avec le Droit Humain.

 

Les deux dernières épreuves placent les deux profanes face au feu et à l'eau. Pamina, munie de la flûte enchantée est conduite auprès de son compagnon. Les deux amants doivent traverser une caverne enflammée puis une cascade. Ils réussissent à braver le danger grâce à la flûte magique. Voilà Tamino et Pamina initiés au culte d'Isis que l'on identifie sans peine comme le paravent de la franc-maçonnerie.

 

Au même moment, Papageno ne supportant plus la solitude décide de se pendre. Il est sauvé in-extremis par les trois enfants qui lui rappellent l'existence du glockenspiel magique. Papageno fait retentir les clochettes et la vieille femme qu'il avait rencontrée lors des épreuves apparaît rajeunie et magnifiée.

 

L'opéra se termine par une ode à la Lumière, symbole de la connaissance et de la vérité.

 

Mozart a composé d'autres oeuvres maçonniques et notamment plusieurs cantates pour sa propre loge. Il avait beaucoup de reconnaissance pour ses frères qui l'aidèrent jusqu'à sa mort. Mozart avait un train de vie démesuré et s'il put rembourser ses dettes, ce fut grâce à la solidarité maçonnique.


En littérature, la philosophie maçonnique apparait clairement dans l'oeuvre de Kipling et particulièrement dans le poème suivant :

 

La loge mère

 

Il y avait Rundle, le chef de gare

Beaseley, des voies et travaux

Black, le sergent du train des équipages,

qui fut deux fois notre Vénérable,

et aussi le vieux Frankee Eduljee

qui tenait la boutique

« Aux babioles d 'Europe ».

 

Dehors on se disait : « Sergent,

Monsieur, Salut, Salam »

Dedans c'était « Mon Frère »,

et ça ne faisait de mal à personne.

Nous nous rencontrions sur le niveau

et nous nous quittions sous l'équerre.

Moi, j'étais Second Expert

dans ma Loge, là-bas !

 

Il y avait encore Bola Nath, le comptable

Saül, le juif d'Aden

Din Mohamed, du bureau du cadastre

le sieur Babu Chuckerbutty

Amir Singh, le Sick,

Et Castro, des ateliers de réparations,

un vrai catholique romain !

 

Nos décors n'étaient pas riches

Notre Temple était vieux et nu

Mais nous connaissions

les Anciens Devoirs

et nous nous y tenions au poil.

 

Quand je me reporte à ce temps

souvent, il me vient à l'esprit

qu'il n'existe pas de soi-disant infidèles

sauf peut-être chacun de nous.

 

Chaque mois, après les Travaux

nous nous réunissions pour nous asseoir

et fumer.

Nous n'osions pas avoir d'agapes

pour ne pas heurter les voeux de caste

d'un Frère.

Et à coeur ouvert nous parlions

de la religion et du reste...

chacun de nous se rapportant

au Dieu qu'il connaissait le mieux.

 

L'un après l'autre, les Frères

prenaient la parole

et aucun de nous ne s'agitait.

L'on se séparait à l'aurore,

quand s'évéillaient les perroquets

et le maudit oiseau porte-fièvre.

 

Comme nous nous en revenions à cheval,

Mahomet, Dieu et Shiva

jouaient étrangement à cache-cache

dans nos têtes.

 

Bien souvent, étant de service

mon pas vagabond s'est hâté

et j'ai porté de fraternels saluts

aux Loges de l'Est et de l'Ouest

selon que les odres reçus

m'envoyaient à Kohart

ou bien à Singapour.

Mais combien je voudrais les revoir tous,

ceux de ma Loge Mère, là-bas !

Comme je voudrais les revoir,

mes Frères nois ou bruns

et sentir le parfum des cigares indigènes

pendant que circule l'allumeur

et que le vieux limonadier

ronfle sur le plancher de l'office,

et me retrouver parfait Maçon

une fois encore

dans ma Loge d'autrefois.

 

Dehors on se disait : « Sergent,

Monsieur, Salut, Salam »

Dedans, c'était « Mon Frère »,

et ça ne faisait de mal à personne.

Nous nous rencontrions sur le niveau

et nous nous quittions sur l'équerre.

Moi, j'étais Second Expert

dans ma Loge, là-bas !

 En architecture la philosophie maçonnique s'est exprimée au mieux avec la célèbre statue de la Liberté : valeur maçonnique essentielle ! Le frère Bartholdi initié à la loge « Alsace-Lorraine » dessina la célèbre grande dame de Manhattan en 1886. La tablette qu'elle tient représente la Connaissance et le flambeau est naturellement la Lumière de la vérité éclairant le monde. Le squelette métallique de la statue fut réalisé par Eiffel un autre franc-maçon qui devait concevoir la Tour éponyme en 1889.

 

 

Photo : webmestre (1994)

Au cinéma, la franc-maçonnerie est un thème relativement absent. Mis à part le film antimaçonnique "Forces Occultes" (évoqué dans la rubrique "antimaçonnisme") on peut signaler quelques rares oeuvres.

Dans "Fantômes déchaînés" (1942) d'Alfred Werker, on peut relever quelques allusions à la franc-maçonnerie de même que dans "Les compagnons de la Nouba" (1934) de William Seiter. Ces deux films interprêtés par Laurel et Hardy sont à caractère burlesque, la Maçonnerie y est donc carricaturée. Ainsi les costumes portés par Laurel et Hardy dans "Les compagnons de la Nouba" sont fortement éloignés du traditionnel tablier et des gants. Néanmoins, il est bien question de Maçonnerie dans l'oeuvre de Laurel et Hardy. Rappelons que Oliver Hardy fut réellement Maçon. D'autre part, le dialogue échangé entre les comiques et un troisième comparse est sans équivoque :

Le type dans la boîte n'était pas mort c'est une initiation.

 

 

- Oh une confrérie !

- Oui... Secrète.

 

Faites-nous confiance.

 

Nous avons appartenu à une loge.

En 1975, John Huston adapta le célèbre ouvrage de Rudyard Kipling "L'homme qui voulut être roi".

 

Le scénario était assez éloigné de l'histoire originale. Deux compères, ex-officiers de l'armée britannique et francs-maçons, révèlent au journaliste Rudyard kipling leur projet insensé : pénétrer dans le royaume interdit du Kafiristan et y prendre le pouvoir. Aucun blanc n'a mis les pieds dans cette contrée depuis Alexandre le Grand. Les deux aventuriers interprêtés par Sean Connery et Michael Caine veulent s'approprier ainsi les immenses richesses de ce pays. John Huston a pris le parti d'accentuer le caractère méprisable des deux francs-maçons alors que Kipling les présentait avant tout comme des aventuriers. Le grand public ne peut se faire qu'une mauvaise idée de la Maçonnerie en regardant ce film. Dès la première scène, Huston dénigre la franc-maçonnerie en montrant Peachey Carneham (Michael Caine) volant la montre gousset de Rudyard Kipling devant un guichet de gare. Quant Peachey s'aperçoit que l'objet appartient à un "frère" (la chaîne de la montre se termine par l'équerre et le compas), il prend le train et pousse un voyageur bengali hors du train devant les yeux effarés de Kipling. Peachey prétexte qu'il l'avait vu voler la montre. A cet instant, un dialogue s'échange entre l'escroc et l'écrivain :

- Je l'ai surpris en train de voler votre montre...

- Ma montre ?... eh bien, je vous suis extrêmement reconnaissant... Monsieur ?

- Carneham... anciennement sergent dans l'artillerie de sa Gracieuse Majesté.

- Je m'appelle Kipling... Puis-je vous offrir à boire ?

Il tend sa fiasque de whisky.

- Glenlivet, 15 ans de tonneau !

- Vous êtes un fin connaisseur en whisky !

- Je suis un fin connaisseur en whisky, jolies femmes, gilet brodés et repas raffinés... mais je n'ai pas eu l'occasion d'y goûter ces derniers temps parce que des bureaucrates passent leur temps à gribouiller de nouvelles lois pour empêcher des types comme nous de faire fortune ! Eh qui c'est qui en souffre ?... L'Empire, Monsieur... Parce que si on lâchait la bride à des gens comme nous ce n'est pas soixante-dix millions de livres que nous rapporterait ce pays, mais sept cents millions, hein ?

- Je suis tout à fait de votre avis... (...)

Puis Carneham demande à Kipling de porter un message à un ami (Sean Connery) mais l'écrivain refuse. Alors Carneham se penche vers lui et dit : Supposez que je sollicite de vous en tant qu'étranger en route vers l'Ouest de chercher ce qui a été perdu, qu'est-ce que vous diriez ?

Kipling répond : Dans ce cas je dirais : d'où venez-vous mon ami ?

- Et je vous répondrais : de l'Est tout en espérant que vous irez transmettre mon message à la Veuve pour le salut de tous ses fils...

- De quel loge êtes-vous ?

- Loge itinérante 3268 "Les Preux et les Fiers", régiment d'infanterie légère de sa Majesté, region militaire 317 A.

La conclusion que le spectateur tire de cette scène c'est que les francs-maçons s'entraident, certes, mais qu'il existe parmi eux des menteurs, des voleurs et des escrocs.

 

T. R. (mars 2000)